Qu’est-ce qu’un bien sans maître ?
Publié le mercredi 15 octobre 2025
Au sens large, un bien sans maître est une chose qui est susceptible de propriété privée — c’est à dire dont la nature implique qu’elle puisse être appropriée – mais qui ne l’est pas ou qui ne l’est plus.
- Res nullius : pour les choses qui ne sont pas encore appropriées
- Res derelictae : pour les choses dont l’appropriation a cessé (qui ont été abandonnées)
Le saviez-vous ?
Dans le vocabulaire juridique, le terme “vacant” ne se réfère pas à l’occupation d’un local (à l'image des logements vacants) mais signifie “sans maître”, “sans propriétaire”.
Pourquoi s'intéresser aux biens sans maître pour lutter contre les logements vacants ?
La lutte contre les logements vacants passe notamment par la mobilisation des propriétaires. Toutefois, pour certains logements libres de toute occupation, la collectivité est dans l'incapacité de contacter un propriétaire susceptible de faire évoluer l'occupation des biens.
Il convient alors de ce demander si ces biens entrent dans le champ des "biens sans maître", des successions vacantes ou encore des successions en déshérence.
Afin que ces derniers ne se dégradent et soient privés de toute utilité, des procédures permettant à la collectivité d'agir — pouvant aller jusqu'à récupérer la maîtrise foncière — sont prévues par les textes.
Les collectivités peuvent ainsi débloquer des situations, souvent complexes, portant sur des biens parfois stratégiquement situés.

Et s'il n'existait pas de bien sans maître ?
En matière immobilière, la formule “bien sans maître” pourrait être un abus de langage, car en théorie, en vertu de l’ (Ouvre une nouvelle fenêtre) article 713 du Code civil, il ne devrait pas exister d’immeuble sans maître. Ce dernier dispose que "les biens sans maître appartiennent à la commune sur le territoire de laquelle ils sont situés".
Ainsi, aucun bien ne devrait appartenir à personne comme le prévoit l’adage “nulle chose sans maître”. Ce principe permet d’assurer la continuité de la propriété privée.
Le terme "bien sans maître" est employé dans diverses situations
Dans le langage courant, la formule “biens sans maître” est utilisée pour faire référence à plusieurs situations qu’il convient de distinguer :
- les biens dont le propriétaire est inconnu ou non identifié,
- les biens qui appartenaient à un propriétaire défunt qui n’a pas laissé d’héritier,
- les biens qui appartenaient à un propriétaire défunt dont le ou les héritiers ont renoncé à la succession.
Le Code civil régit ces situations aux articles (Ouvre une nouvelle fenêtre) 713 et (Ouvre une nouvelle fenêtre) 539.
1 - Les biens sans maître intéressant la collectivité
L’ (Ouvre une nouvelle fenêtre) article 713 du Code civil prévoit que “les biens qui n'ont pas de maître appartiennent à la commune sur le territoire de laquelle ils sont situés […]”.
Quels sont les biens visés par cet article ?
Le domaine d'application est régit par le Code de la Propriété des Personnes Publiques. Son (Ouvre une nouvelle fenêtre) article L1123-1 exclu les biens composant les successions des personnes qui décèdent sans héritiers ou des successions qui sont abandonnées (ces cas sont traités par l’ (Ouvre une nouvelle fenêtre) article 539 du Code civil, exposé plus bas), et distingue deux catégories de biens sans maître :
Cas n°1 : les biens d’une succession ouverte depuis plus de 30 ans
Les biens composant une succession ouverte depuis plus de trente ans et pour laquelle aucun successible ne s'est présenté sont des “biens sans maître” aux termes de l’article (Ouvre une nouvelle fenêtre) L1123-1 du CG3P, 1°.
Le risque de la prescription acquisitive pour les biens sans maître
Le possesseur qui prouve avoir possédé pendant le délai de prescription acquisitive requis peut se prévaloir de la propriété du bien. Le délai de prescription acquisitive est de 30 ans ( (Ouvre une nouvelle fenêtre) art. 2272 C. civ), réduit à 10 ans en cas de bonne fois.
On dit alors que l'usucapion constitue une présomption irréfragable de propriété et prévaut sur n'importe quel titre ( (Ouvre une nouvelle fenêtre) art. 2258 C. civ).
La réalisation d'une enquête préalable à l'incorporation du bien dans le patrimoine de la collectivité permettra de s'assurer qu'aucun possesseur n'est susceptible de faire valoir son droit.
Le délai trentenaire peut être réduit à 10 ans lorsque les biens se situent dans le périmètre :
- d'une grande opération d'urbanisme (GOU) au sens de l'article (Ouvre une nouvelle fenêtre) L. 312-3 du Code de l'urbanisme,
- d'une opération de revitalisation de territoire (ORT) au sens de l'article (Ouvre une nouvelle fenêtre) L. 303-2 du code de la Construction et de l'habitation,
- dans une zone France ruralités revitalisation (zone FRR) mentionnée aux II et III de l' (Ouvre une nouvelle fenêtre) article 44 quindecies A du Code général des impôts,
- dans un quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV) au sens de l' (Ouvre une nouvelle fenêtre) article 5 de la loi n° 2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine.
⚠️ Toutefois, les règles de droit civil relatives à la prescription continuent de s'appliquer.
Les règles de prescription en matière de revendication de la succession
Les héritiers peuvent opter (c’est à dire choisir d’accepter ou de renoncer à la succession) dans un délai fixé par l' (Ouvre une nouvelle fenêtre) art 780 C.civ al.1. Passé ce délai, il est considéré que l’héritier qui n’a pas encore opté renonce à la succession ( (Ouvre une nouvelle fenêtre) art.780 C.civ al.2).
- Pour les décès intervenus après le 1er janvier 2007 : le délai est de 10 ans à compter de l’ouverture de la succession .
- Pour les décès intervenus avant le 1er janvier 2007 : le délai d’option des héritiers est de 30 ans ( (Ouvre une nouvelle fenêtre) Cass. 1e civ. 12-2-2020 n° 19-11.668 F-D).
Ce délai peut être réduit, si l’héritier est contraint d’opter : il s’agit de la sommation d’opter (art. (Ouvre une nouvelle fenêtre) 771 et (Ouvre une nouvelle fenêtre) 772 C.civ).
Toutefois, le délai de prescription d’un successible qui a des motifs légitimes d’ignorer sa qualité d’héritier ne peut commencer à courir (par exemple, s'il ignore le décès). Le délai s’ouvre à partir du jour où le successible a connaissance de son droit ( (Ouvre une nouvelle fenêtre) art. 780 C.civ. al.5), dans la limite des 20 ans suivants le décès, en vertu du premier alinéa de l’ (Ouvre une nouvelle fenêtre) article 2232 du Code civil (qui prévoit toutefois des exceptions en son second alinéa).
Risque de restitution ou d'indemnisation
Lorsque la propriété est transférée à la collectivité moins de 30 ans après l'ouverture de la succession, l' (Ouvre une nouvelle fenêtre) article L2222-20 du CG3P prévoit les modalités de restitution ou d'indemnisation éventuelle.
Cas n°2 : les biens qui n’ont pas de propriétaire connu
Sont “présumés sans maître” les immeubles qui n’ont pas de propriétaire connu et pour lesquels les taxes foncières n'ont pas été acquittées ou ont été acquittées par un tiers depuis plus de trois ans ( (Ouvre une nouvelle fenêtre) art. L1123-1 du CG3P, 2°).
Les règles de droit civil relatives à la prescription
Le bien peut être revendiqué par un possesseur (cf passage sur la prescription acquisitive), un héritier (cf passage sur la revendication de la succession), mais aussi par un véritable propriétaire ( (Ouvre une nouvelle fenêtre) art. 2227 C. civ).
Envisager la restitution du bien présumé sans maître
Les biens présumés sans maître acquis par la collectivité sont susceptibles d'être restitués. La procédure de restitution est prévue par l' (Ouvre une nouvelle fenêtre) article 2222-20 du CG3P.
Si cette restitution ne peut être réalisée — c'est à dire que le bien a été aliéné ou est utilisé d'une manière s'opposant à cette restitution (le plus souvent, affecté au public) — le propriétaire recevra une indemnité.
Outre ces deux cas traités par (Ouvre une nouvelle fenêtre) l'article L1123-1 du CG3P, pour certains biens il est laborieux d'identifier un propriétaire susceptible de contribuer à la remise sur le marché bien.
En particulier, cela peut concerner les biens d'un propriétaire défunt qui sont exclus de l'application de l’article (Ouvre une nouvelle fenêtre) L1123-1 du CG3P. Il convient de s'intéresser aux successions vacantes et aux successions en déshérence.
2 - Les biens des successions vacantes
En vertu de l’ (Ouvre une nouvelle fenêtre) article 809 du Code civil, une succession est dite vacante lorsque :
- il n’y a aucun héritier connu,
- ou que tous les héritiers connus ont renoncé à la succession,
- ou qu’aucun héritier connu a opté dans un délai de 6 mois après l’ouverture de la succession (que ça soit tacitement ou expressément).
Est-il possible de renoncer à une succession ?
Les héritiers ne sont pas obligés d’accepter la succession.
Trois choix s’offrent à eux après l’ouverture de la succession ( (Ouvre une nouvelle fenêtre) art. 768 C.civ) :
- l’acceptation pure et simple,
- l’acceptation à concurrence de l’actif net,
- la renonciation.
La notion de succession vacante désigne une situation d’attente prévue pour éviter la dégradation des biens.
Des biens sous curatelle de l'État
L’Etat doit gérer une succession vacante. Un curateur de la Direction de l’Immobilier de l’Etat est chargé de la gestion ; ses pouvoirs augmentent avec le temps (pouvoirs restreints dans les 6 mois après le décès, puis pouvoirs étendus ensuite).
Comment mettre en place une curatelle de l’État ?
Dans les faits, il est possible de rencontrer des biens répondant à ces critères qui ne font pas l’objet de curatelle. Dans ces cas-là, il est nécessaire de saisir le juge sur requête afin qu’il confie la curatelle de la succession à l’administration chargée du domaine ( (Ouvre une nouvelle fenêtre) art. 809-1 C. civ).
Quand la curatelle de l’État prend-t-elle fin ?
La curatelle de l’Etat s’achève :
- soit lorsque la succession a été restituée aux héritiers qui se seraient présentés,
- soit lorsque les biens sont vendus (dans ce cas, le produit de la vente permet de payer les dettes éventuelles, puis le produit net est consigné à la Caisse des dépôts),
- soit lorsque l'État réclame la succession, alors en déshérence ( (Ouvre une nouvelle fenêtre) art. 539 C. civ).
Passé un délai de 30 ans (réduit à 10 ans dans certains périmètres), les biens non réclamés entrent dans le champ de (Ouvre une nouvelle fenêtre) l’article L1123-1 du CG3P : ils deviennent des “biens sans maître”.
3 - Les biens des successions en déshérence
L’ (Ouvre une nouvelle fenêtre) article 539 du Code civil énonce que “les biens des personnes qui décèdent sans héritiers ou dont les successions sont abandonnées appartiennent à l'Etat”.
Une succession dévolue à l’Etat ou pour laquelle l’Etat entend faire valoir son droit est dite “en déshérence”.
Quelles différences entre une succession vacante et une succession en déshérence ?
Une succession en déshérence se distingue d’une succession vacante. Alors que la première est dévolue à l’Etat, la seconde n’est réclamée par personne (même par l’Etat).
La notion de succession vacante est plus large que celle de succession en déshérence.
En pratique, l’Etat n’est pas automatiquement propriétaire de ces biens mais il peut prétendre à le devenir : pour cela il doit en demander l’envoi en possession au président du tribunal judiciaire ( (Ouvre une nouvelle fenêtre) art. 811 C.civ).
Cette subtilité a son importance : l’Etat n’est pas obligé de devenir propriétaire de ces biens malgré lui, il bénéficie d’un pouvoir discrétionnaire pour accepter ou refuser l’acquisition de la propriété de ces biens.
De fait, certains biens peuvent davantage représenter une charge (dépenses de mise en sécurité, responsabilité, travaux de réhabilitation…) plutôt qu’une opportunité.
Dans le cas où l’Etat souhaiterait devenir propriétaire de biens composants une succession à laquelle les héritiers ont renoncé, il doit agir avant qu’un héritier ne révoque sa renonciation.
Quel est le délai pour révoquer sa renonciation à une succession ?
Un héritier renonçant, qui a choisi de renoncer à la succession, peut révoquer sa renonciation dans les dix années qui suivent l’ouverture de la succession, dès lors que l’Etat n’a pas demandé l’envoi en possession des biens ( (Ouvre une nouvelle fenêtre) art. 807 C.civ). Après, l’héritier qui finalement souhaiterait accepter la succession ne peut plus le faire.
Attention, l’attribution de la succession à l’Etat ne peut être définitive qu’après l’expiration du délai permettant à un successible de revendiquer la succession.
Quel est le délai pour revendiquer une succession ?
- Si le décès est intervenu avant le 1er janvier 2007, les héritiers jusqu’au 6ème degré de parenté avec le défunt peuvent revendiquer la succession dans un délai de 30 ans après le décès ( (Ouvre une nouvelle fenêtre) art.2227 C.civ).
- Si le décès est intervenu depuis le 1er janvier 2007, les héritiers disposent de 10 ans pour revendiquer la succession ( (Ouvre une nouvelle fenêtre) art. 780 C. civ al.1).
Ce délai peut être suspendu dans certains cas (héritier mineur, par exemple), ou ne commencer à courir que tardivement (lorsque l'héritier a des motifs légitimes d'ignorer sa qualité).
Avertissement : les éléments d’information contenus dans cet article sont fournis au regard de la réglementation en vigueur et de la jurisprudence existant à la date de sa publication. Il s’agit d’une information générale qui ne saurait servir à résoudre des cas particuliers. L'emploi de ces informations ne saurait engager la responsabilité de Zéro Logement Vacant, ni de son auteur.